Rechute 2.0

L’envie. Irrésistible. De se lancer dans le vide sans penser à ce qu’il y a en bas, sans atterrissage, et espérer voler en sachant fort bien que la seule issue est de s’échouer. L’envie de s’enfuir jusqu’au bout du monde, prendre un bus direction nulle part, mais comprendre qu’on ne peut s’échapper de certaines réalités. Regarder les nuages en se demandant ce qu’il y a derrière, en cherchant le sens de tout ça, tout ce qu’il y a en dessous, l’immense envie de disparaître de la surface du monde, de ses yeux surtout, espérer que le malheur épargne celles qu’il ne peut trouver, puis se résigner à se rouler en boule dans son lit.

L’irrésistible envie de consommer.

Et se demander pourquoi continuer à se battre.

L’éternel combat contre la maladie est inévitable dans mon cas. Il est dans mes gênes ; chacune de mes microscopique cellule mène chaque jour une lutte perpétuelle qui ne fait pourtant que ralentir l’inévitable. Je vis sur du temps emprunté, emprunté à une dame de quarante ans morte en 2015 et qui m’a offert la chance de continuer, emprunté au destin qui a posé sur moi le baiser de la fibrose kystique avant même de m’offrir la chance de vivre un instant, du temps emprunté à un pré-cancer traversé douloureusement. De précieux jours dans lesquels chaque nouveau diagnostic creuse, des jours promis mais en aucun cas garantis. Un affrontement quotidien n’ayant pour but que de repousser une énième admission, dans un service ou dans un autre, en attendant que tombe l’épée et que l’on sache enfin quel organe me lâchera le premier.

J’ai peur. Peur de la rechute physique, celle qui s’exprime par la science et me condamne à de longs mois clouée au lit, mais surtout celle de l’esprit qui l’accompagne si fidèlement. Terrifiée à l’idée d’arrêter de manger sans m’en rendre compte, de m’isoler sans le savoir, sans le voir, de m’assoupir dans cette tristesse mélancolique et ne plus connaître le chemin vers la surface. Pire, je suis pétrifiée à l’idée qu’un jour je puisse relâcher un instant de trop mon attention et que tout espoir s’envole.

L’envie de fuir donc. Vers un lieu lointain en rêve, mais qui se révèle souvent n’être que la chambre d’ami.es qui n’ont jamais su sortir de leurs choix de vie nocifs. L’envie de prendre un, ô juste un, peut-être deux comprimés, puis d’arrêter. D’oublier l’injustice omniprésente de la vie présentement, ignorer les responsabilités de l’âge adulte pour se replonger, juste un soir, juste une nuit, dans des comportements malsains d’adolescente trop curieuse. Arrêter en pleine course le petit hamster qui court en rond.

Et s’en empêcher, évidemment.

Au fond, lutter pour rester envie est peut-être plus difficile, mais c’est aussi infiniment plus gratifiant. Alors on se met un sourire sur le visage, on repousse toutes ces pensées, la petite voix qui rugit dans la pénombre, et on sort. Assister aux rendez-vous pour s’assurer de pouvoir continuer d’être présente en cours, au travail, auprès de la famille et des ami.es qui ont une influence positive sur le cours de la vie. Un sourire sincère pour se souvenir des raisons qui me poussent à me lever chaque matin et à ouvrir les rideaux sur un monde injuste, mais joli quand même. Et avant tout, se concentrer sur ce qu’il y a de bon, réaliser tous les progrès que j’ai fait en cinq ans, toutes les situations dangereuses que j’ai déjà évitées, tous les comportements auxquels j’ai réussi, de peine et de misère, à mettre fin, penser à tout ce qui entre en jeu, à tout ce qu’une rechute pourrait compromettre, à tout ce bonheur ruiné pour quelques heures au-dessus des nuages plutôt qu’en-dessous.

Attendre que ça passe.

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