Ma santé a (encore) modifié mon été
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Au moins d’avril, je regardais les billets d’avion pour partir en Europe. Objectif : minimum un mois hors du pays. J’avais besoin de me ressourcer, d’être ailleurs, loin de mes soucis d’ici et de mes petites habitudes confortables. Manger des choses nouvelles, voir des choses nouvelles, rencontrer des personnes nouvelles. Passer du temps au bord de l’eau, voir des couchers de soleil, des ciel étoilés, des montagnes de sable blanc, découvrir une manière de vivre un peu différente. Enfin partir vivre le voyage que je tente tant bien que mal d’organiser depuis plusieurs années, et qui finit sans cesse par être repoussé.
Trois destinations ont rapidement charmé l’ensemble de mon cœur, les mêmes qui me hantent, obsédée de ne les avoir jamais vues, ou jamais assez. La France, bien sûr, que j’ai déjà vue mais qui est bien grande et dont la majorité échappe encore à mon regard médusé. La Grèce, paisible, immense, qui m’inspire la liberté, qui m’envoute par ses couleurs, par son bleu à la fois si profond et si léger, ses chats sauvages, ses jupes, ses îles éloignées… L’Italie, magnifique, peuplée de personnes incroyables et d’émotions tout aussi extraordinaires, la suite de villes et villages dont je tombe irrémédiablement amoureuse revoir les barques de Venise, les pizzas succulentes de Rome et les thés glacés à la pêche sur les bords d’autoroute.
La Grèce, vu ses prix exorbitants, a dû laisser sa place à un endroit plus approprié pour mon budget d’étudiante. Puisque ce n’est pas un endroit que je souhaite découvrir seule, ce n’est pas plus mal non plus. La France, elle, offre un dépaysement moindre, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient, mais a l’avantage d’être plus abordable en général et de posséder une culture que je connais mieux, que je vois chaque jour autour de moi et sur les réseaux sociaux. L’Italie, finalement, propose une façon de voir la vie qui m’attire et m’enchante si fort que je suis prête à en oublier la barrière de la langue. Un univers à part dans ma tête, où le rythme des jours ne correspond à aucun autre et où le soleil se couche bien plus tard que partout ailleurs.
Le mois de mai arrive et je crois avoir trouvé, un aller-retour en France à moins de 700$, dans les dates que j’avais repérées, assez proche de l’Italie pour pouvoir en traverser la frontière quelques jours, en profiter pour faire un petit bout de la Côte d’Azur. Je n’attends que de régler quelques détails avant de l’acheter et prévoir la paresse qui envoûtera mon temps entre les deux dates sur mon billet. Je regarde déjà les chambres à louer, pour une nuit, une semaine, un mois, les billets de trains et d’autobus, je compare les avantages, me prépare un avant-goût de mon incroyable été. J’ai déjà hâte de partir.
Évidemment, ça ne s’est pas passé comme prévu.
Le verdict qui est tombé, je m’y attendais à moitié. La superviseure de la clinique me l’a annoncé elle-même, a répondu à toutes mes questions, impossible de se tromper. Les cellules que nous avions faites biopsier il y a quelques semaines sont pré-cancéreuses, il faut les enlever, faire un suivi, de retour sur cette chaise tous les six mois pour le reste de ma vie. En revanche, je ne m’attendais pas à une sentence aussi cruelle envers mes plans des prochains mois : il faudra opérer, une petite chirurgie d’un jour, trois semaines de convalescence, pas tout de suite, mais bien avant la rentrée. On va vous appeler.
Donc pas de voyage pour moi cette année encore. Je supprime les applications de voyage de mon téléphone, aucune chance qu’elles me soient utiles cet été. Encore. Après deux ans de covid, mes rêves européens de balades aux quatre coins du monde viennent simplement de s’évaporer. J’en veux à mon corps. J’en veux à la vie. Tout me semble injuste. Puis, avec le temps, je relativise et la douleur s’estompe. Je tente de voir le positif. Si je n’ai rien de mieux à faire, aussi bien prendre soin de ma petite enveloppe de chair.
Et j’attends. J’attends un appel qui ne vient pas. J’attends que la sentence soit levée, que l’on me donne une date, offrande grandiose sur un plateau d’or. J’attends la chirurgie, j’attends de retrouver mon corps sans toutes ces petites cellules que je vois grandir semaine après semaine, j’attends la convalescence, le rétablissement, le retour positif.
J’attends le droit de recommencer à construire des rêves pour une vie plus loin que la semaine prochaine.