Couverture de sécurité
Je pense que toute personne qui me connaît sait que j’ai parfois des comportements d’enfant. Je peux passer des semaines à ne manger que des pâtes au fromage, je bois du jus de fruits sucré plutôt que pressé, je suis incapable d’ouvrir le moindre contenant neuf et je prends inconsciemment une petite voix pour demander de l’aide ou avouer une bêtise. Je pourrais tomber dans des théories freudiennes pour expliquer l’innocence de cette période de jeunesse, mais là n’est pas le sujet. Je remarque néanmoins que plus je suis fatiguée, moins je suis capable d’agir en adulte, et quelques heures en moins dans une nuit me rendent facilement insupportable au cours de la journée. Au moins, je le sais.
Néanmoins, certaines des techniques qu’on enseigne aux enfants pour prendre soin d’eux et gérer leurs émotions sont tout aussi bonnes à quatre ans qu’à vingt-deux ans. Respirer pour se calmer, rationaliser les éléments et situations anxiogènes, boire de l’eau avant d’avoir mal à la tête et manger à des heures régulières semblent de très bons conseils, peu importe l’âge que l’on a. Ranger ce qu’on finit d’utiliser au fur et à mesure pourrait probablement empêcher les montagnes de vêtements, de livres et de cahiers de se former sur le sol de ma chambre, et je pourrais arrêter de m’enfarger dessus au milieu de la nuit. Mais bon, il parait qu’on n’apprend pas tous au même rythme.
J’ai réalisé récemment que ma routine de sommeil est également fortement liée à l’enfant en moi, à commencer par mes couvertures de sécurité. Sans qu’il y ait forcément un attachement émotionnel, j’ai besoin d’avoir un objet qui m’apporte un certain réconfort pour m’endormir. Chez moi, j’ai évidemment toute la literie à laquelle je suis habituée. Mais dès que je vais dormir ailleurs, j’emporte systématiquement l’une des couvertures qui traînent sur mon lit, ou si je n’ai pas la place, je ne peux dormir que cachée dans l’un de mes hoodies, le capuchon sur la tête, cordon tiré. Les occasions où je me passe de ce système sont très rares, et je peux compter sur les doigts d’une main les personnes qui me font sentir suffisamment en sécurité pour me passer de mes manies.
PTSD bonjour.
Je ne peux pas non plus dormir ailleurs que chez moi sans emporter mes écouteurs, élément essentiel à mon sommeil. Seule, je peux écouter des films, des vidéos, des podcasts ou de la musique en main libre, le téléphone sur l’oreiller, tout va bien. Mais ailleurs, il semblerait que les récits de crimes non résolus n’endorment pas tout le monde. Dans un environnement que je connais, je peux mettre mes deux oreilles dans mon cocon de couvertures et tout va bien. Mais garde à moi si le moindre sentiment d’anxiété pointe le nez. L’écouteur côté plafond se libère, et suis condamnée à ne dormir qu’à moitié.
Au fond, ce n’est pas très étonnant que je ne dorme jamais réellement bien. J’ai besoin d’être seule, mais affronter mes périodes d’insomnie et de cauchemars me terrifie. J’ai besoin d’être collée, mais même dans mon sommeil je repousse toute personne qui m’approche un peu. J’ai besoin d’avoir chaud, mais aussi d’avoir froid, tout en ne voulant ni l’un ni l’autre. Qu’il fasse noir, mais que je puisse voir le lampadaire, ou la lune, ou peu importe. Puis, une pensée reliée au domaine médical ou au temps qui passe trigger mes pires angoisses, et c’est reparti pour un tour.
Depuis quelque temps, la nuit ne me convient plus, et je n’arrive qu’à dormir en après-midi. J’enchaîne les nuits blanches, les tasses de café, le thé, le chai, je mange mes émotions, mais je n’ai jamais faim. Je crois profondément que c’est l’isolement, l’impression d’être prisonnière, de n’avoir aucun choix, aucune option. L’été, quand ce sentiment me prend, il m’arrive de me lever aux petites heures, prendre ma couette et me rendormir dehors, à l’air frais, sur le balcon. Maintenant, je ne peux plus. Je ne peux même plus prendre une marche à 23h pour me calmer face au monde qui s’effondre. Je me sens vide. Je meuble comme je peux.
J’ai ressorti ma couverture de bébé, qui a depuis longtemps perdu son odeur et ses couleurs, mais qui m’aide encore un peu. Je m’assois au bout du lit, ma doudou dans le cou, couverture sur les épaules et pieuvre en peluche sur la tête, et j’attends. Je regarde le temps passer. Les flocons tomber. Ma jeunesse s’épuiser, et mes rêves se faire avaler peu à peu par une pandémie qui ne finira jamais. J’ai perdu foi en l’humain. L’humain est con, vive l’humain.
Et parfois, j’imagine mes voisins, eux aussi cachés derrière leurs rideaux, qui observent la jeune fille d’en face, le visage éclairé uniquement d’une lumière bleue, et se demandent peut-être ce qu’elle peut bien écrire comme ça toutes les nuits.