Je reste fragile
Il m’est arrivé plusieurs fois au cours des dernières semaines de vivre dans l’illusion que tout allait bien. Comme si soudainement, la maladie, autant mentale que physique, ne faisait plus partie de ma vie. J’étais une personne « normale. » Je me levais le matin, je suivais mes cours, puis en soirée, j’allais travailler. Comme n’importe quelle adolescente dans la vingtaine.
Le pouvoir d’une routine stable, c’est qu’elle t’évite de penser à tout le reste de ta vie pour te permettre de te concentrer seulement sur le moment présent.
Puis, j’en enchaîné deux épisodes un peu plus difficiles. Une rechute à la fois mentale et physique. De courtes durées, heureusement, mais présentes tout de même et qui m’ont rappelé la fragilité de mon équilibre. Lorsqu’un quelconque élément vient me bousculer, je perds pieds. Je suis à risque de tomber dans un gouffre à chaque instant d’inattention de ma part.
C’est parfois à cause d’un incident plus que banal. Une rencontre dans la rue, croiser une personne de mon passé à qui je ne parle plus aujourd’hui. Qui me manque encore parfois, mais qui se porte assurément mieux sans moi, et moi sans elle. Un bref moment, un simple regard, qui me donne envie de recommencer à boire et chercher un moyen de consommer, un instant d’égarement.
J’ai pris la décision de ne plus jamais boire. J’avais déjà décidé de ne plus toucher à aucune drogue il y a quelques mois, weed compris, mais l’alcool, c’est une étape supplémentaire. Une étape nécessaire dans mon cheminement. Puisque c’est tellement accepté socialement, on oublie que c’est aussi facile de tomber dans la dépendance de cette sensation, comme dans n’importe quelle autre. Enfin, c’est mon impression. Bien que j’aie toujours su que ma consommation empirait mon état dépressif, je n’ai jamais réussi à arrêter totalement.
J’espère que cette fois sera la bonne.
Pratiquement au même moment, j’ai eu la chance de recevoir ma première dose de la vaccination contre la covid. Le bras douloureux durant quelques jours, j’ai passé une superbe semaine sur mon petit nuage, sans autres symptômes apparents. Puis, sept jours exactement après mon injection, j’ai dû passer la journée entière au lit, pas de son, pas de lumière. Pour moi qui n’avais pas fait de migraine depuis fort longtemps, j’ai un peu eu un choc.
Les effets secondaires liés à la vaccination, je les ai presque tous eu. En décrivant à une amie la manière dont je me sentais, elle m’a dit que ça lui rappelait les premiers jours où elle avait eu la covid, ce qui l’avait poussée à se faire tester. Si c’est comme ça qu’on se sent lorsqu’on l’attrape, je suis fort contente de n’avoir eu ces effets que quelques jours, et non des semaines entières.
Je suis loin de regretter mon vaccin, tout comme je ne regrette pas les fois où je suis allée passer un test PCR, pour être sûre. Cependant, c’est sûr que ça m’aurait arrangé que cette journée de repos forcée ne tombe pas durant ma fin de session. Parmi les choses que je déteste le plus au monde, devoir écrire à mes profs pour demander des délais supplémentaires et/ ou m’excuser de mes absences est assez haut dans la liste. J’aime paraître comme une personne vivant dans la normalité. J’aime me sentir normale.
Ce que je retiens de la dernière semaine, c’est une leçon que j’ai apprise de nombreuses fois et que je continue néanmoins à devoir me remémorer : je reste fragile. Même lorsque j’arrive à tout balancer sur mes frêles épaules, même si je coche chaque jour les différents éléments de mes to-do, je reste fragile. Parce que la vie, c’est fragile. On peut basculer à tout moment, et ce, sans avertissement.
Mais c’est correct d’être fragile. Ça me force à me souvenir que dans toute cette fragilité, je suis encore là. Je suis fragile, oui, mais je suis plus forte encore.