Je suis fatiguée
Je combats sur mille fronts en même temps, et pourtant, ce n’est jamais assez. Je suis fatiguée, dans tous les sens du terme. Je manque d’énergie, je manque de motivation, j’aurais besoin de vacances. Mais des vacances de quoi ? Je ne peux pas simplement tout laisser tomber.
Moi qui adore quand tout est rangé, l’état de mon esprit se reflète bien dans l’état de ma chambre.
Je tente l’effort minimal de redescendre ma vaisselle sale, puisque je mange la majorité de mes repas dans mon lit. Déjeuner, dîner, collations, il n’y a que le souper familial qui échappe à mes draps. Un mélange d’angoisse et de yeux qui se ferment seuls me pousse à me confiner dans ma chambre. Je rêve de l’extérieur, mais il me semble si loin.
J’ai fait du lavage, je n’ai pas réussi à ranger le linge propre qui s’est échoué sur le plancher, à côté d’un casse-tête commencé il y a trois semaines et resté intouché depuis. Après avoir rempli mon pilulier la semaine dernière, j’ai laissé tous les flacons de médicaments sortis, alors qu’il me suffirait de remettre la boîte dans l’armoire. J’accumule les verres d’eau, les sachets de thé, la poubelle déborde. Mais pas moyen de me résoudre à la trier.
Sur mon mur, accroché avec un bout de ruban transparent, mon calendrier de fin de session me regarde procrastiner. J’ai fini un cours sur les cinq que j’ai présentement, et si je le voulais réellement, je pourrais avoir tout fini lundi et avoir deux longues semaines de libres avant de commencer la session d’été. Je rêve de ce moment où l’hiver sera entièrement derrière. Il me reste pourtant tant à faire.
Sur mon bureau traînent les différents livres que j’entame sans terminer, par manque de temps, par manque d’énergie. Je suis trop fatiguée pour lire, ou pour toute activité qui me demande un effort mental. Je passe mes soirées allongée sur une bouillote pour soulager mes maux de ventre qui pourraient aussi bien venir de mon utérus que de mon système digestif, à m’endormir sur des films et des séries que j’ai déjà regardés mille fois. J’ai mal à la tête le quart du temps, même si je fais attention à bien m’alimenter et que je bois toute l’eau recommandée par ma néphrologue. Je dors mes dix heures par nuit. Mais rien ne change.
Il paraît que j’en fais trop, mais c’est normal, c’est cyclique chez moi. Mes fins de session se ressemblent toutes, difficiles physiquement, mentalement et émotionnellement, mais je finis par passer au-travers. Je me dis encore une semaine, encore quelques jours, puis j’aurai la paix. Je m’accorde des pauses, des weekends passés devant des jeux vidéos simplets, à ne pas voir le temps passer. Je me repose, mais je reste fatiguée.
Je suis fatiguée, je suis occupée, mais somme toute, je suis bien.
Je fais des siestes, je carbure aux gatorades, à la théine et aux tylenols, mais je sais que ce n’est qu’une phase. Je fais des siestes si je n’ai pas l’option de me lever à midi, mais j’ai la chance de pouvoir le faire. Il paraît que de s’ennuyer est l’une des choses qui stimule le plus l’imagination. Avec toutes les heures que je passe entre le sommeil et l’inconscience, je ne m’étonne plus de l’absurdité de mes rêves.
Selon mon entourage, j’aurais tendance à en faire trop. Pourtant, cette semaine encore, je me suis surprise à traîner sur le site de l’UQAM, à explorer les différents diplômes. Moi qui ai toujours dit que je n’irais jamais à l’université. Pourtant, cette semaine encore, je me suis retrouvée à consulter des locations d’hébergement en Italie, et en Europe. Il me reste deux ans pour apprendre la langue et trouver un moyen de faire un travail que j’aime entièrement en ligne, pour subvenir à mes besoins sans compromettre ma santé ni mon énergie. Pour trouver le moyen de voyager.
Selon le monde, j’aurais tendance à en faire trop. Trop de choses pour une personne malade, trop de choses pour quelqu’un qui s’implique à mille pourcents dans chacun de ses projets, trop de choses pour une fille qui a la moitié de l’énergie des autres de son âge.
Pourtant, cette semaine encore, je me suis surprise à vouloir en faire davantage. À vouloir travailler sur plus d’aspects, revoir mes objectifs, pour construire la vie dont je rêve. Je suis fatiguée, mais m’arrêter n’est pas un choix. J’ai appris à vivre en cohabitant avec cette fatigue. J’ai trop peur du moment où ma vie se résumera à nouveau à un lit d’hôpital, branchée de partout, pour me priver de ce dont j’ai envie sous prétexte que je suis fatiguée.
Si je suis fatiguée, c’est parce que je suis active. Et cette simple pensée me réconforte bien davantage que n’importe quelles vacances ne pourront jamais le faire.