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Une première fois

Aujourd’hui, pour la première fois de la session, j’ai pleuré à l’école.

Il y a des mots, des phrases, que je sais m’affectent plus que d’autres. Des détails parfois, qui accrochent mes yeux ou mes oreilles, et qui m’emmènent ailleurs, dans un état dissociatif rassurant. Inconsciemment. Néanmoins, je ne savais pas qu’il y en avait autant, reliés à tant d’évènements différents, et que j’ignoraient encore. Je pense plus vite que je n’écoute, et j’ai donc le temps de songer à bien des choses entre chaque sujet affiché sur le powerpoint du cours de psychologie.

Noir sur blanc, mauve sur bleu, ça ne change pas grand-chose à l’impact que les mots qui sont écrits ont sur moi. Même perdue dans un univers parallèle, je les vois. Je ne peux les éviter. Ils sont là, ils me parlent.

Je l’ai sentie monter peu à peu, et j’ai tenté de respirer pour la calmer. Sauf que rien n’arrête une crise d’anxiété qui se déclenche à cause de mon train de pensées. Alors j’ai dû me résoudre à faire une chose que je ne fais que très rarement et que je déteste faire : sortir de classe. Pour me calmer seule, dans le silence, assise dans le corridor, littéralement au pied du mur. Et le cours a continué, et la crise s’est calmée, et je suis restée à attendre, sans pouvoir rentrer.

Jusqu’à ce qu’on me demande si ça allait.

Les larmes sont montées seules elles aussi, sans que je les attende, pour remplir mes yeux. Et c’est ce qui m’a le plus troublé au fond, cette surprise innocente, moi qui croyais aller mieux. Alors j’ai repensé, à toutes ces fois où un regard un peu trop long me rend anxieuse ou hyper vigilante, signes de mon trouble post traumatique. À toutes les fois où j’ai de la misère à mettre la moindre nourriture dans mon corps, pour une simple remarque entendue à mon sujet. À toutes les fois où je me sens inconfortable, pour me rendre compte que je suis en présence d’un gars dont je ne connais que le nom. Pour les quelques fois où je vomis en soirée, non pas à cause de l’alcool, mais simplement parce que j’aurais besoin qu’on m’aime pour moi et pas pour mon corps. Pour toutes ces fois, pour toutes les autres.

Je me dis souvent que je suis forte, que j’ai surmonté, que ça ne m’atteint plus. Je réponds à voix haute, je contredis ce qui est inexact et je m’offusque d’opinions dénigrantes. Je crie « inapproprié » au gars qui fait un commentaire sur mon amie dans la rue pis je sourie avec les yeux pour pas perdre ma job, en espérant qu’on ne discerne pas mon air bête et mes yeux qui sont rendu dans le fond de ma tête.

J’en parle, à demi-mots seulement, mais juste parce que je fais le choix de ne pas tout raconter. Parce que ce serait long, parce qu’il y en a tellement à dire, parce que même quand tu as fini il y en a encore. Parce que mes amis gars ne le comprendrait pas, pis que mes amies filles le savent déjà. Parce qu’au fond, ce n’est rien de nouveau, c’est partout pis tout le temps, pis encore pis encore.

Mais moi je suis tannée. Tannée de le voir, tannée de l’entendre, tannée de le sentir et de le ressentir. Sauf que c’est pas quelque chose pour lequel je peux juste dire FUCK IT pis m’en foutre. Ignorer ce problème ne le résoudra pas. Alors j’en suis là, à pleurer dans un corridor, parce que je ne suis pas dans le bon bâtiment, parce que ce pavillon, c’était son pavillon. Malgré les années qui ont passé, c’est encore son pavillon.

Pis ce qui me fait le plus chier au fond, c’est que malgré tout, j’ai encore écrit un texte qui parle de lui. Peu importe ce que je fais, il restera toujours une partie de moi, un sujet en thérapie, un nom à éviter, un quartier impossible à traverser et un souvenir impossible à effacer. Il est omniprésent, même dans son absence. Derrière toutes les barricades que j’ai créées, tout ce que j’ai jeté, effacé, supprimé, il fera toujours partie de moi.

Vraiment, ça me fait profondément chier.

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