Nuits noires
En ce moment, je fais le même cauchemar toutes les nuits. Je me réveille en panique, convaincue que je repose dans une mare de mon propre sang dont je cherche la source. Je fouille autour de moi, je dois trouver la tubulure fautive, celle qui fuit, le bouchon dévissé. Fait vécu. Mais je finis par comprendre assez rapidement que cette période de ma vie est derrière, et je me rendors dans mes draps propres.
Ces temps-ci, je fais les mêmes cauchemars toutes les nuits. Ceux dont je ne veux pas parler, ceux qui me font craindre de m’endormir seule parce que je ne supporte pas l’idée de cette vulnérabilité, ceux qui m’angoissent profondément. Les flashbacks qui se mêlent entre la réalité et les craintes inconscientes, ceux qui me font me demander si tout n’ira jamais bien. Ceux que je n’ai pu raconter qu’à quelques reprises, toujours au cœur de la nuit, les larmes dans la gorge. Les rêves infernaux que je déteste revivre, que je déteste invoquer, que je déteste encore et encore, et qui me font parfois dissocier même en plein jour.
Je sais que plus la vie me semble instable, plus je fais d’anxiété, plus j’ai des nuits étranges. Les annonces de confinement, l’éventualité d’un couvre-feu, l’épuisement de toustes, c’est plus que mauvais pour le flot de pensées qui défile sans interruptions dans ma tête. Je sens une phase dépressive qui approche à grands pas, et j’ai les outils pour la combattre, mais dans le contexte actuel, je ne peux pas les utiliser. Je ne peux pas être spontanée, m’arranger pour être hors de chez moi le plus souvent possible, profiter des vacances pour revenir sur un rythme de vie plus naturel pour moi.
Quand je déprime, j’essaie de sortir. Je vais passer quelques jours chez mes grands-parents que je ne pourrai pas voir cette année. Je lance deux ou trois messages dans le vide, dans l’espoir que quelqu’un ait envie de ne rien faire avec moi, devant un film ou un chocolat chaud. Je prends une marche en solitaire avec mes écouteurs. Je mets un livre et mes médicaments dans un sac, avec l’idée de revenir prochainement, mais rien n’est sûr. Quand plus rien ne semble aller et que le monde ne tourne plus dans le bon sens, je me réfugie dans les autres.
En ce moment, quand je prends le bus, j’ai envie de ne pas descendre, ni à mon arrêt, ni au suivant. En fait, j’aurais envie de rester assise sur mon siège, la tête dans la fenêtre, jusqu’à ce que les paysages que je vois soient ceux du Yukon. Influence de mes lectures, seuls moments où j’arrive à m’enfuir de la réalité. J’ai envie de prendre un train, de covoiturer, de me rendre à l’aéroport et de prendre un vol vers une destination au hasard. Au fond, c’est un peu de moi que je cherche à m’enfuir.
J’ai envie de lâcher ma job, lâcher mes études, lâcher prise. Je ne le ferai pas, bien sûr, mais j’en rêve. M’asseoir dans une classe de psycho à l’UdeM, juste pour le plaisir d’écouter. Passer la journée sur le sol d’une librairie de livres usagés. Aller au cinéma et changer de salle après chaque représentation, jusqu’à ce que j’aie vu l’entièreté des films à l’affiche. Acheter un petit appart sur le plateau, ou une cabane au fond des bois. Arrêter de m’en faire, de me questionner, de me retourner dans mon lit en attendant le sommeil qui ne vient jamais que trop tard.
On m’a déjà dit que je ne serais heureuse que le jour où ma vie ressemblera à un film indépendant anglais. C’est peut-être vrai. Mais dans ma tête, il est beau ce film, et bien moins absurde que la fiction québécoise qui peuple mes journées actuellement. Plus je grandis, plus je rêve. Mais la nuit, je fais encore les mêmes cauchemars, et en me couchant seule dans mon lit, je fixe longtemps les quatre murs qui m’enferment.